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Aperçus

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  • Pas vraiment une page de détente. Plutôt des réflections. Des points de vue. Des idées et des remarques. Ce qui nous entoure, ce qui nous constitue, ce qui nous fait réfléchir. Ou pas. Un aperçu non-exhaustif.
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25 décembre 2007

Chapire XI

XI.

Je relisais le contrat. Précis, bref, comme d'habitude. J'aimais bosser avec des pros. Je rangeais la feuille dans mon porte-document, que je glissais dans ma mallette. Après avoir soigneusement verrouillé cette dernière, je glissais « Inazuma » dans son étui, à l'intérieur de ma veste. Ce Desert Eagle gravé était mon plus précieux trésor. Avant d'ouvrir la porte, je réajustais le col de mon costume, enfilais mes gants et mon manteau long de cuir noir. J'éteignais les lumières de la chambre d'hôtel et pris l'ascenceur pour atteindre le hall d'entrée. Je payais ma note sans un mot, et sortis dans la nuit calme et froide. Je me dirigeais vers le parking. A la lueur d'un lampadaire, j'ouvris le coffre de ma Ducati 998 et y glissais la mallette. Je mis mon casque et enfourchais mon véhicule. Je démarrais en trombe et quittais le domaine pour rejoindre la route nationale. Après quelques minutes, je bifurquais vers une route de campagne. Je traversais un patelin, puis arrivais sur un village plus grand, pour enfin voir au loin la ville qui se profilait. Je rattrapais les grands axes, avalant les kilomètres et les rocades à une allure vertigineuse. J'aimais rouler la nuit. Le face à face entre le monde et moi, le hurlement de mon moteur pour cri de guerre, je me sentais surpuissant, invincible, sur l'asphalte. Je filais tel une flèche noire aux reflets d'or dans les ténèbres, tel l'éclair lancé par un dieu vengeur. Les batiments grandissaient, les immeubles se faisaient de plus en plus présents. Je suivis la route de mémoire. J'atteignis bientôt la périphérie, avec ses quartiers résidentiels.

J'arrivais enfin devant une enceinte sécurisée, qui semblait regrouper une treintaine de maisons. L'entrée était fermée par un couple de portails électriques qui montaient assez haut, agrémentés par une cabine dans laquelle un vigile lisait un magazine. Je ne m'arrêtais pas et continuais encore quelques mètres. J'arrêtais ma moto et sortis de ma mallette un revolver sur lequelle je vissais un silencieux. Je glissais celui-ci dans un étui dissimulé contre mon flanc droit, Inazuma reposant contre mon coeur. Je sentis d'ailleurs sa palpitation, sa chaleur, comme s'il m'appelait, me suppliait de libérer toute sa force meurtrière. Je passais machinalement la main sur mon arme, comme une mère calmant son enfant trop agité. Je retirais mes lunettes de vue, et glissais sur mes yeux des lentilles de contact d'un bleu lumineux. Je passais ma main gantée sur mon crâne quasi-lisse, le bruissement des quelques millimètres de cheveux faisant écho au frisson d'excitation qui me remonta l'échine. Je fis craquer mon cou, mes poignets et mes phalanges. Je rangeais mes instruments dans le coffre de mon véhicule, et expirais.


Le silence. Juste un vain murmure, comme si le vent voulait alerter les innocents endormis qu'une bête traqueuse s'insinuait perfidemment dans leur bulle protectrice. Le souffle de l'air vicié, le frottement des feuilles d'arbres, le cliquetis d'un lampadaire dont l'ampoule clignotait faiblement. J'entendais dans ma tête une douce musique, faite de tantras, de cithares, d'ohms et de percussions tribales, le tout bercé et embrassé par des souffles féminins angéliques et des nappes de sons aériens. Je voyais les plaines verdoyantes des terres d'Asie, les voiles ocres, jaunes et ambrés qui flottaient dans la brise chaude d'une après-midi lumineuse. Je voyais les palmes d'émeraude se courber sous la caresse du vent, l'eau de cristal couler dans le creux d'une fontaine, au coeur d'un jardin ouvert sur l'horizon, les tendres collines d'herbe, telles des oasis miraculeuses, se profilant au loin. Mon esprit flottait entre la terre souillée et le nirvana doré. L'adrénaline me faisait flotter, me rendait léger, j'agrippais le rebord du haut mur de crépit sans prendre quasiment aucun élan, et me hissais sans effort notable, avant de retomber tout en souplesse sur un terre-plein de gazon. Je me rappelais la photo satellite, la disposition des habitations. Mes cibles se trouvaient au bout de l'allée fleurie. Avant de sortir de l'ombre du mur, je vérifiais qu'aucune lumière n'était allumée dans les environs. Le contrat était clair : pas plus de quatre victimes, je ne devais avoir aucun cadavre supplémentaire sur les bras, et donc ne faire aucun témoin et encore moins en abattre.

Une fois mes précautions prises, je sortis à demi-couvert, longeant l'enceinte, courant l'échine courbée. Inazuma voulait hurler, vomir sa lave et son métal en fusion, goûter au sang ici et maintenant. Je le sentais jusque dans mes veines. Le pavillon était là. Je localisais un poteau électrique qui frôlait le petit muret ceinturant l'habitation, ouvris le panneau sans trop de difficulté et avec précaution, coupais les cables électriques grâce à quelques outils que j'avais glissés dans mon manteau. Je commençais à avoir l'habitude de ces gestes. Couper l'électricité pour empêcher les alarmes de fonctionner, enjamber le mur, crocheter la serrure de la plus petite porte, photographier les lieux mentalement, puis procéder méthodiquement, en éliminant en silence la cible la plus potentiellement dangereuse en premier.


Je récitais encore mentalement la « procédure » habituelle quand je me rendis compte que j'étais déjà en train de glisser de petites tiges en métal dans la serrure de la porte de derrière. Elle s'ouvrit sans trop de problèmes. J'entendis alors des rires au premier étage. Ils étaient encore éveillés, à 4 h 30 du matin, et de surcroit en train de se marrer et de désigner qui allait devoir descendre pour vérifier le disjoncteur... Une vague froide envahit mon corps, entre panique et excitation. Je fûs tenté de rebrousser chemin, mais l'occasion était trop belle. Quatre gamins d'à peine vingt piges sans défense, et qui plus est, qui projettaient déjà de se séparer dans une maison plongée dans le noir... Ils me mâchaient tout le boulot. Je dégainais ma lame courte. Ce soir, j'allais faire dans la dentelle...

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16 décembre 2007

Chapitre X

X.

Je posais les articles sur le tapis roulant. Le bip régulier et rapide de la caisse me rappelait cette sensation désagréable, celle que j'avais ressentie le jour où Matt était mort. L'impression qu'un type inédit d'emmerde allait s'abattre sur moi, que le danger était imminent, et que malgré tout, mon corps restait lourd comme du plomb et mollasson à pleurer, comme s'il était résigné à se faire laminer, à ne pas vouloir voir venir les menaces. Je chassais ces pensées de ma tête en additionnant mentalement tous les prix qui s'affichaient sur le petit écran digital. Après une cinquantaine de produits, la machine vomit le ticket de caisse. J'avais déjà le total au bord des lèvres.


« Quatre-vingt-cinq euros et vingt-et-un centimes, s'il-vous-plaît. »

Encore juste. J'enfournais mes achats dans les poches en plastique, et me dirigeais vers la sortie du supermarché. Avec trois poches dans chaque main, j'avais du mal à me faufiler dans la foule compacte. Dehors, il faisait encore bon. Apparemment, il neigeait déjà dans le Nord. J'étais malgré tout heureux de pouvoir encore me trimballer en tee-shirt. Lauren attendait, appuyée sur le capot de la voiture, son débardeur serré et sa mini-jupe laissant peu de place à l'imagination. Elle se redressa en me voyant arriver. Ses bottes montantes brillaient autant que ses lunettes de soleil.


« Donne, je vais t'aider, proposa-t-elle »


Comme elle se penchait pour me prendre les courses des mains, je me dépêchais de les lui tendre. J'avais du mal à croire qu'il s'agissait de la même personne que lors du dénouement d'il y a deux ans... Elle qui était couverte de boue, en treillis militaire, les bras et le visages lacérés d'entailles et le tee-shirt maculé de sang, un couteau dentelé dans une main et une paire de phalanges tranchées dans l'autre. Elle qui se tenait debout, solide comme une statue d'acier, qui marchait d'un pas assuré et puissant, qui courait comme une bête enragée. Elle qui était à l'instant en train de monter dans ma voiture, plus féminine qu'un top-model et aguicheuse comme jamais. Elle continuait de m'impressionner malgré toutes ces années de jeu en commun. Je démarrais, un petit sourire au lèvres qu'elle ne manqua pas de relever, et lui expliquais ce qui me faisait sourire. Elle se contenta de me vanner sur le fait que j'étais aussi devenu plus « féminine ».


« Et toi Seth, je te rappelle quand même que t'étais un sacré bourrin. Tu t'es transformé en lopette depuis ! T'avais quand même défiguré le président de la Fondation Ania à coup de Rangers, arraché l'oreille de son assistant, et t'avais aussi explosé le visage de leur secrétaire contre une vitre pare-balle parce qu'elle avait voulu te faire patienter...

- C'était ça ou se faire arrêter par la sécurité avant d'avoir pu atteindre le bureau du président, me dis pas que t'aurais pas fait la même chose !

- Ca c'est clair que j'aurais fait la même chose ! Mais si on devait comptabiliser les points, tu me bats à plates coutures !

- Possible ! souriais-je. Au final, c'est quand même toi qui leur a coupé une phalange à chacun, aux deux gros lards.

- T'étais occupé à tabasser un vigile... J'allais pas rester là, les bras croisés, fallait bien qu'on avance. Et quand j'y repense, j'hallucine encore de la rouste que tu lui a mis, à ce culturiste...

- La gonflette m'impressionne pas, tu le sais bien !

- Faut quand même en avoir pour aller exploser la tête à un gars qui fait ton double en largeur !

- Fallait aussi en avoir pour tirer en pleine tronche de la pétasse qui gardait la vitrine ! explosais-je de rire.

- Elle m'avait traitée de grognasse, cette conne... Forcément, si elle voulait crever, suffisait de le dire... »


Nous partirent tous les deux d'un fou rire libérateur. Mon quartier était en vue. Je rentrais la voiture dans la cour, et déchargeais la voiture avec l'aide de Lauren. Tom se proposa pour m'aider à cuisiner, pendant que les filles rangeaient les courses dans les placards. Une heure plus tard, nous nous assirent en ligne sur le sofa devant l'écran de télévision, avec chacun un énorme plat de pâtes à l'italienne, une recette que je tenais de la mère de Lauren, et d'une entrecôté saignante. Quatre bières étaient également alignées sur la table basse. Nous les levâmes tous à 13 h 04 précises, afin de fêter le dénouement de la dernière partie.


« Déjà deux ans...fit Tom.

- J'ai encore l'impression d'être dedans, ajouta Alyson.

- C'est vrai que pour l'instant, ça n'avance pas trop, remarqua Lauren. Et puis avec cette histoire de meurtre chez Tom, j'ai l'impression qu'on va nous tenir à l'écart un sacré bout de temps.

- Au fait Tom, demanda Alyson, t'as bien eu la confirmation ?

- Ouais, les organisateurs m'ont assuré qu'il ne s'agissait pas d'un événement dans le jeu. Je leur ai demandé quelles seraient les conséquences sur la partie en cours, ils m'ont dit qu'une fois qu'on aura été blanchis auprès de la police, ils nous enverront la suite des infos.

- On en est où au fait ? questionna Lauren.

- Ca, je vais te le dire de suite, dis-je. »

Je gravis les escaliers et ramassa le dossier qui était posé sur mon lit.

- Voilà, c'est à peu près toutes les infos qu'il m'a été possible de recueillir jusqu'ici. On va se faire un petit résumé pendant le dessert ! »


Pendant que tout le monde se servait dans le frigo, j'étalais méthodiquement mes fiches, photos, notes et croquis sur la table basse.


« Voilà, on va reprendre depuis le départ, comme apparemment ça fait un moment que vous avez pas mis le nez dedans ! Au départ, on avait cette petite carte de visite, et ce badge. '' Enoch, 81.4.266.12.89.0.14, S/B/R/V, 5 102 451°, A '', c'est ce qui est marqué sur la carte de visite, et le badge, c'est juste une espèce de machin magnétique pour ouvrir une porte. A partir de là, j'ai commencé à me documenter sur le seul mot vraiment déchiffrable dans ce charabia, '' Enoch '', parce que je savais déjà à quoi ça faisait référence. Enoch, c'est un nom biblique. On a trois personnages qui portent ce nom dans l'histoire religieuse du monde.

Le premier, c'est le fils de Caïn, lui-même premier fils selon la Bible d'Adam et Eve. Caïn avait un frère, Abel. Contrairement à ce dernier, l'offrande de Caïn à Dieu a été rejetée. Par jalousie, il a assassiné Abel, et est donc considéré comme le premier meurtrier de l'histoire humaine, en tout cas d'un point de vue religieux. J'ai imprimé ces quelques phrases qui résument bien ce qui s'est passé ensuite : « Maudit par Dieu et contraint au bannissement du sol, il clame que sa punition est trop lourde et qu'il risque d'être tué par le premier venu. Dieu, pour lui signifier la gravité de son acte l'a déclaré protégé (en le marquant du « signe de Caïn »), le laissant dans sa condition de fugitif jusqu'à sa mort. Le signe en question était vraisemblablement le décret solennel de Dieu. Caïn prit le chemin de l'exil et se fixa au pays de la fuite, à l'est d'Eden; il emmena avec lui sa femme, une fille non nommée d'Adam et Ève. Après la naissance d'Hénoch, Caïn se mit à bâtir une ville, qu'il appela d'après le nom de son fils. ». On remarque qu'il y a une petite différence d'écriture dans le mot '' Hénoch ''. En ce qui concerne le « signe de Caïn », j'ai pas encore trop compris ce que ça veut dire, mais je pense pas que ce soit important à ce niveau-là.

Le second '' Enoch '' de l'histoire, c'est le fils de Yared. Yared est le sixième patriarche de la lignée d'Adam, Hénoch, le septième, est son fils, lui-même père de Mathusalem, qui est père de Lamech, qui est le père de Noé. Là aussi, son prénom s'écrit avec un H, et il s'agit de la même descendance, celle d'Adam et Eve. J'ai relevé une phrase assez forte sur un bouquin : « Hénoch a vécu en tout trois-cent-soixante-cinq ans. Hénoch a marché avec Dieu et il n'a plus été là car Dieu l'a emmené. » Apparemment, cet Hénoch-là est le symbole de l'écoulement du temps mais il initie aussi le cas des personnes disparues. Je pense que c'est un symbole à retenir. « C’est aussi cet Hénoch qui, pour les mormons, aurait fondé la cité de Sion. Selon le Livre de Moïse, Sion fut enlevée au ciel à cause de la justice de ceux qui y vivaient. Hénoch est enfin désigné sous le nom d’Idris dans le Coran. Il est réputé pour être à la fois le père de l’écriture, de l’astronomie et de la maîtrise du fer ».

Maintenant, accrochez-vous bien, ça c'est la partie dont on a pas encore parlé. Y'a un troisième Enoch dans les écrits bibliques... Je vous lis ce que j'ai trouvé : « Le nom Énosh, qu'il vaut mieux ici écrire avec s, et sans h initial, (Énosh ou Énosch) correspond à l'hébreu [enosh], signifiant homme et transcrit par [énōs], dans la Septante. Son nom figure dans les généalogies en Genèse 5, 6-7, dans le premier Livre des Chroniques 1:1, et en Luc 3:38 ». Bon là, j'ai pensé qu'il s'agissait de la bonne référence, à cause de l'orthographe plus proche de celle qu'on a. Et là... J'ai trouvé ça : « Énosh est le fils de Seth. Seth est le troisième enfant nommé d'Adam et Ève dans le livre de la Genèse de la Torah. Il est le fils de la consolation conçu après qu'Abel fut assassiné par Caïn. D'après la Bible, Seth est né quand Adam avait 130 ans (Genèse 5-3). Il vécut 912 ans (Genèse 5-8). Toujours selon la Bible, tous les hommes sont les descendants de Seth jusqu'à Joseph, époux de Marie, mère de Jésus. Ce serait là l'origine de son nom d'après les rabbins : fondation puisqu'il est la fondation du monde en tant que premier ancêtre de l'humanité né de parents humains ».


Un long silence s'installa après mon monologue. Ils me regardaient tous d'un air abasourdi.


« Bordel de merde, dit Tom, c'est quoi cette histoire ? Je croyais que Seth, c'était le nom d'un dieu Egyptien !

- Moi aussi je pensais que ça venait de là, et puis c'est un prénom usité aux Etats-Unis, et comme mon père est de là-bas, je pensais que c'était parce qu'il aimait bien ce prénom qu'il m'avais appelé comme ça.

- Ca m'étonnait aussi qu'un pays croyant comme les US puissent avoir un prénom païen dans leur calendrier, fit Lauren. Maintenant, ça me paraît plus clair, y'a rien de plus catho...

- Et tu penses que c'est qu'une coïncidence ? me demanda Alyson.

- J'en sais trop rien, mais ça me semble quand même assez gros pour que ce soit qu'un simple hasard. Je crois que je suis impliqué. Pourquoi et à quel niveau, j'en sais rien. Mais j'avoue que là, je me pose des questions.

- C'est pour ça que t'étais tellement à fond dans le jeu ces temps-ci ? interrogea Lauren.

- Ouais, en grande partie.

- Bon, on sait ce qu'il nous reste à faire. Affaire de meurtre ou pas, on va pas rester là comme des asperges à se regarder bailler, on va s'y mettre ! lança Alyson.

- Et c'est reparti ! clama Tom avec un plaisir non-dissimulé. »


Je regardais mes amis dans les yeux. Cette-fois ci, c'était du sérieux, on le savait tous. La partie qu'on attendait depuis tellement longtemps allait peut-être se jouer cette année.

6 décembre 2007

Chapitre IX

IX.


" Et merde..."

Se faire avoir par un jeu de miroirs... Le tireur s'empressa de dévisser le silencieux et la lunette de visée de son fusil Sniper. Il rangea son arme dans sa mallette, et épousseta le tapis qu'il avait disposé sous le pied. Il termina de replier ce dernier qu'il enfourna dans un sac de sport qui contenait déjà plusieurs chargeurs et diverses armes de poing. Jurant tout ce qu'il pouvait, il se dirigea vers la porte de sortie du toit qu'il fit claquer d'un coup de pied. Dévalant les escaliers, il réfléchissait à une cadence infernale. Il lui fallait retrouver au plus vite sa deuxième cible. Il devait fouiller l'appartement.

Arrivé au pied de l'immeuble, il regarda rapidement autour de lui, plus par habitude que par sécurité. Il ouvrit le coffre de sa voiture, garée à quelques mètres de là, y rangea la mallette et le sac, duquel il tira discrètement un poignard militaire et un révolver de calibre 9 millimètres. Dissimulant soigneusement ce dernier dans un étui à l'intérieur de sa veste, il verrouilla son véhicule et se dirigea à pied vers l'immeuble d'en face. Son coeur palpitait encore violemment sous le coup de l'échec. Sa rage monta, intérieure et insidieuse. Il devait l'étriper, lui faire payer son insolence.

Arrivé devant l'entrée, il sortit une clé universelle, déverrouilla la porte et se glissa rapidement à l'intérieur, gravissant les marches à toute vitesse, vérifiant l'ascenseur à chaque étage. Avec un peu de chance, il serait encore à l'intérieur...
Il prit une grande inspiration, fit voler la porte d'un coup d'épaule et se plaqua à terre, l'arme à bout de bras. Pas un mouvement. Il vérifia rapidement toutes les pièces : vides. D'un geste expérimenté, il sonda les cachettes stratégiques. Pas de doute : cet enfoiré s'était enfui avec ses affaires. Il n'avait pas laissé un seul agenda, pas d'ordinateur, ni de courrier, pas même une seule photographie, pas une boîte à chaussures ou de valise contenant quoi que ce soit qui l'eut aidé à pister sa cible. Il hurla et envoya une chaise s'écraser contre le mur. Il ressortit aussi vite qu'il était entré. Une vieille dame se tenait dans le couloir et l'interpella en maugréant des stupidités sur le bruit causé. Sans ciller, le mercenaire tendit le bras et logea une balle dans le crâne de l'importune. Il descendit aussitôt au rez-de-chaussée par l'ascenceur et fila jusqu'à sa voiture.

Il roulait depuis une demi-heure quand il quitta les routes de la ville pour s'engager sur une voie de campagne. Quelques minutes plus tard, il eut une envie urgente et s'arrêta sur le bord d'un petit chemin. Sa pudeur naturelle le poussa a s'éloigner un peu de sa voiture pour se dissimuler derrière des buissons. Alors qu'il se soulageait, il sentit une désagréable pression sur sa mâchoire. Il eut à peine le temps de réaliser que sa tête pivota sur le côté, et dans un craquement, sa nuque céda. Il tomba raide mort, les mains encore crispées sur sa braguette...

6 décembre 2007

Chapitre VIII

VIII.

« T'es sûr que tu veux rentrer ?

- Ouais sûr, merci Seth, mais mes parents sont déjà chez moi et je vais pas abuser de ton hospitalité. Et puis je suis pas vraiment certain de pouvoir vous suivre dans vos délires ! envoya James en souriant.

- Comme tu veux. Mais si un de ces quatres tu veux tester la plongée... N'hésites pas ! On se fera un plaisir de t'initier !

- Tant qu'y'a pas de séance de bizutage obligatoire... me répondit-il.

- Aucun risque ! Allez, porte-toi bien, et on te tient au courant dès qu'on a de quoi.

- Merci, salut. »


James s'engouffra dans la berline et le chauffeur démarra aussitôt la portière verrouillée. Je fermais la porte en traînant des pieds. J'étais crevé. Je sortis un paquet de ma poche et prenais une clope. Alyson fit voler un briquet à travers le salon.

« Elle est où Lauren ?  demandais-je en allumant la cigarette.

- Eh, t'es chiant avec Lauren sérieux ! lança-t-elle en filant vers la piscine.

- Putain mais qu'est-ce que j'ai dit encore ? »

Je m'affalais sur le sofa, et allumais l'écran plasma. Mon père était un grand amateur des dernières technologies, parfois jusqu'à la folie, mais les néons synchronisés sur le son qu'il avait fait installer derrière la télévision étaient une de ses meilleures idées... Dans un océan moiré et miroitant de couleurs douces, je zappais jusqu'à arriver sur la chaine musicale, la seule que je regardais jamais. Un clip de Chimaira venait juste de commencer. « Pour la peine, j'ouvre une bière ! », et je saluais les rythmiques ravageuses par un décapsulage de circonstance.

« T'en as pas marre de secouer la tête en rythme comme un crétin chaque fois que t'écoutes ça ?

- Tiens Alyson, t'as l'air de bonne humeur à ce que je vois ! Viens donc t'asseoir en ma compagnie ! ironisais-je, un large sourire en travers du visage.

- Boucle-la Seth, file-moi plutôt une clope va.

- Tiens. Si la musique te gonfle, j'peux mettre la chaîne pour filles si tu veux...

- La ferme, Blanche-Neige ! marmonna-t-elle en me sautant dessus, la cigarette dans la bouche et le coude en premier. »


Nous partîmes d'un grand éclat de rire. Alyson tenta de m'écraser la tête contre l'accoudoir, et je dûs rouler sur le côté pour ne pas embrasser le cuir avec ma clope. J'atterris sur le carrelage tiède, toujours avec la cigarette aux lèvres, prêt à me relever pour charger, quand je la vis s'abattre sur moi. Elle me maintenait les bras au sol et, les genoux posés de chaque côté de mes cotes, elle maitrisais mes jambes en les fixant à terre avec ses pieds. Elle pencha son visage vers le mien, et alluma sa cigarette en la collant contre celle que je tenais encore. Ses cheveux de feu vinrent lécher mes joues et mon front. Ses yeux verts plongeait dans les miens avec insistance... Et cette clope qui ne s'allumait pas... Je tentais de lui rappeler ma position inconfortable en remuant les poignets, mais elle augmenta son emprise encore plus. Le jeu devenait ambigü. Je ne voulais pas être forcé de me défendre, alors j'affichais toujours le même sourire décontracté. Ma marque de fabrique. Celui-ci s'estompa aussitôt qu'elle fit un mouvement de balancier rapide avec sa tête pour venir frapper ma clope de la sienne. Les deux cigarettes embrasées roulèrent sur le carrelage, et je sentis les lèvres d'Alyson se coller contre les miennes. Je n'avais rien eu le temps de voir que ses mains avaient déjà glissé sur mes joues. Pourtant, mes poignets refusaient toujours de bouger. Je sentis sa chevelure couler progressivement sur mon visage, son dos s'arquer et son poids s'envoler. La tension des muscles laissa place à une légèreté inhumaine, comme si un soupir de soulagement flottait dans l'air. Un courant d'air, la caresse d'un ange dont seules la bouche et les mains s'extirpent des nuages pour frôler la terre et repartir aussitôt vers les cieux. Incapable de bouger le moindre de mes muscles, je me laissais faire, abasourdi. Elle, caressant ma nuque, reprenait de plus belle, inondant mes lèvres puis progressivement tout mon buste d'une chaleur infernale. Sa respiration s'accéléra de plus en plus, sa bouche se faisant plus agressive, elle m'entraînait vers des abysses de laves et de douceur. Une odeur de flammes se répandit autour de nous. Mes mains purent enfin agripper son visage, et quand ma tête leur ordonnait de la repousser, une irrésistible force m'empêchait d'agir. J'entrais dans le jeu. Toute notion du temps avait disparu, je cédais complètement, malgré moi. Quand l'odeur de brûlé se fit insistante, je commençais à revenir à la réalité. J'ouvris les yeux : un papier d'emballage qui traînait par-terre était en train de cramer à cause des cigarettes rejetées sur le côté.


« C'était quoi ce bordel ? cria Lauren en accourant.

- C'est rien... Juste un papier qui a pris feu, répondis-je, la tête dans les mains. »


Alyson était là, recroquevillée sur le sofa, les larmes aux yeux, comme un petit animal affolé et abandonné. Elle s'excusait en balbutiant. Elle avait hurlé à la mort en ouvrant les yeux et en voyant les flammes, impressionantes mais peu dangereuses. Son instinct avait fait le reste, elle s'était jetée en arrière, paniquée, et j'avais dû me relever pour renverser le fond de ma bière sur le petit brasier. Lauren, surprise au son du cri strident, était arrivée aussitôt, suivie de près par Tom. Je dissimulais mon air gêné. Je ne savais pas quoi penser. Nonchalemment, je sortais une clope et l'allumais, décapsulais une autre bière, et lançais un « j'rangerais ça plus tard » des plus calmes. Alyson se calma. Je l'entourais d'une couverture et la laissais se rassurer devant la télé, bien qu'elle n'appréciait sûrement pas la musique qu'elle entendait. Je soupirais et rabattais mes cheveux en arrière. J'allais rejoindre les autres dehors, quand elle m'appella d'une petite voix :


« Eh, Seth... Tu voudras bien me faire écouter du Nevermore ? »


Je regardais mon tee-shirt, étonné, puis lui sourit en hochant la tête.

28 novembre 2007

Chapitre VII

VII.

« Non mais vise un peu le travail ! On le tient putain, j'en suis sûr, c'est lui ! »

J'étais surexcité. Le visage à la fois hébété et souriant qui se tenait en face du mien me confirmait la véracité de l'information. Je passais des clichés au faciès victorieux, de plus en plus vite. Les conjonctions qui se bousculaient dans ma tête faisaient bouillir mon sang, mes tempes devaient palpiter à une telle vitesse que ça ne m'aurait pas étonné qu'Adam les compare à des baffles géantes dans un concert de Punk. Aucune vanne de sa part ne fusa, il restait là, complètement figé dans un sourire béat.

« Bordel... Mais d'où tu sors ça toi ?! » demandais-je enfin.

Pas de réponse. Son visage restait irrémédiablement figé. Son sourire ne se décrochait pas. Puis il glissa lentement sur le côté, toujours l'air heureux, le même regard mais accroché dans le vide cette fois. Butant contre l'accoudoir du sofa, il continua de rouler sur le sol, le dos percé d'un impact de balle.

J'hurlais : « NOM DE DIEU ! » Je me rabattais aussitôt contre le sol. Je secouais Adam de la main. Mort, rien à faire. Le cendrier vola en éclats. Un sursaut m'arracha le coeur de la poitrine. Je pleurerais plus tard. Mes réflèxes prirent le dessus, j'agrippais les clichés sur la table, rampais jusqu'au bar luxueux et attrapais le sac de mon meilleur ami. Tout était à sa place. Je me dépêchais d'attraper son agenda électronique dans la poche de son veston, et me glissais jusqu'à la sortie. Des copeaux de bois me frôlèrent le visage : la porte venait d'être percée d'un trou béant. A grand renfort d'injures, je fonçais dans le couloir puis dans mon appartement. Il était exposé au Nord, contrairement à celui d'Adam qui donnait sur le Sud. Aucun doute, le tireur n'était pas un amateur. Il savait sûrement qui j'étais, du moins mon rapport avec Adam, il avait sûrement prévu un point de tir sur un autre immeuble pour m'atteindre à mon tour. J'avais un peu de temps avant qu'il n'y arrive. Je réfléchissais à toute vitesse.

Premièrement, les clichés. Adam s'est grillé en les obtenant. Qui a-t-il contacté ? Qui les lui a fournis ? Je les regarde brièvement : ça pue le Polaroïd de flic. Peut-être que le nom est dans son agenda.
Deuxièmement, le tireur. Participe-t-il ? A-t-il été engagé en toute connaissance de cause, ou pense-t-il avoir affaire à un vrai client, avoir commis un meurtre « normal » ? Que sait-il de l'Histoire ? Et s'il participe, adversaire direct ou carte maîtresse ?
Troisièmement, que sait-il sur moi ? Je suis tenté de m'enfuir sans traîner, mais j'ai la possibilité unique d'obtenir une information capitale : son évaluation de mon niveau. S'il revient pour tenter de me tuer dans mon appartement, c'est qu'il pense que je me sens en sécurité chez moi et que je ne peux pas partir en abandonnant tout dans la seconde, c'est donc qu'il me sous-estime. S'il ne revient pas, c'est qu'il est conscient de qui il affronte. Il retentera sa chance à un autre moment, dans un autre endroit.
Dernièrement, cet élément nouveau dans l'affaire. Merde, est-ce que c'est bien le même gars qui a fait ça à ces filles ? Je dois absolument en savoir plus. S'ils envoient un tueur aussi vite, c'est soit qu'Adam avait des infos incroyables, soit qu'ils ne veulent prendre aucun risque. Admettons qu'ils aient peur des fuites. C'est qu'il y a une raison, leur assurance est rarement mise à dure épreuve. Donc, il y a bien eu une faille quelque part.

Je me mis à souffler lentement. Déjà, m'assurer de quelque chose. Je frôlais les murs et allais récupérer les documents cachés dans la petite horloge sur le bar. Je prenais ensuite mon sac, et y fourrais tout ce qui ne devait pas me quitter : les affaires habituelles, les clichés et l'agenda d'Adam, le dossier principal, les pistes en cours, les cartes mémoire de mes appareils et de la caméra, le baladeur audio, le couteau, le signal, et mon flingue. Tout était là, plus qu'une dernière vérification. Je glissais sous la fenêtre et faisais pivoter le miroir nu, placé derrière celle-ci. J'avais bien fait attention à ne pas fermer le verrou, ce qui me permis, grâce à une cordelette accrochée au bas du battant, de faire lentement s'ouvrir la fenêtre comme si le vent la poussait mollement. L'illusion était en place. Je me relevais contre le mur, et en prenant soin de ne pas m'exposer, me plaçais à l'autre bout de la pièce, en face du miroir. Je m'en rapprochais alors nonchalemment, mimant un allumage de cigarette express. La réponse ne se fit pas attendre : la fenêtre et le miroir explosèrent.

Le jeu de réflections avait fonctionné, le tireur me pensait derrière la fenêtre ouverte, et avait tiré sur le verre. Je détalais alors dans la seconde qui suivit, déboulais les escaliers jusqu'au garage au sous-sol, m'engouffrais dans ma deuxième voiture et m'éloignais le plus vite possible. Ce type tirait peut-être comme un as, mais il me sous-estimait énormément. Deuxième débutant que je croisais dans la journée, je me serais presque amusé si mon meilleur ami n'était pas mort sous mes yeux cinq minutes plus tôt.

Et ces foutues larmes qui refusaient de couler...


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25 novembre 2007

Chapitre VI

VI.

Le matin. Ou bien l'après-midi, je ne suis pas sûr. Les yeux encore collés par le sommeil, je me frotte la nuque, et me relève. Assis sur le futon, je retrouve mes marques. En grommelant, je cherche mon tee-shirt. Introuvable. J'aurais dû ranger mes affaires hier soir. Le soleil filtre à travers les stores vénitiens. J'enfile un caleçon et me lève, la tête alourdie. Un café, une clope. Puis une douche. Et une autre clope. Soudain, je me rappelle. Je dois faire vite, c'est la règle. Je retourne dans la chambre, et à pas feutrés, récupère son sac à main. Elle dort encore, tant mieux. Je retourne au salon, et entreprend ma recherche. Une enveloppe, isolée dans une poche intérieure. Pas scellée, j'ai de la chance. Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire... Je déplie les documents. Trois feuillets, et une photographie. Je les prend avec mon appareil photo numérique, replie le tout en vitesse et remet le sac à sa place. J'en profite qu'elle dorme encore pour jouer la sécurité. Je branche mon appareil sur mon ordinateur portable, importe les clichés, les compresse dans une archive et les transfère sur ma clé USB avant de les enfouir au fond de la mémoire du PC, bloqués par un mot de passe. Je planque ensuite la clé dans le petit tiroir situé derrière l'horloge miniature qui se trouve au coin du bar. Je vide la mémoire de l'appareil et retourne m'habiller. Je fais volontairement un peu de bruit pour qu'elle se réveille. Elle croit que je viens de me lever, la cuite d'hier soir a alourdi son sommeil. Elle se lève, s'enroule de la couverture et demande d'une voix brouillée :

« Je peux me faire un café ? »

J'acquiesce sans mot, commençant à ranger la chambre et le tas d'habits qui traînent. Du coin de l'oeil, je la surveille. Elle ne semble pas se méfier. Sûrement croit-elle ne plus être dans la partie... Malheureusement, c'est la pire erreur qu'on puisse faire. Relâcher sa vigilance. Mais c'est en se trompant qu'on apprend. Même si j'ai pitié pour elle. Réveillée complètement, elle s'allume une cigarette et s'habille sans pudeur devant moi. Elle regarde son portable. 13 h 28. Elle m'embrasse et me dit qu'elle doit aller se préparer. Un gala à organiser avec ses collègues. Elle me rappelera. Je feins une mine réjouie bien que fatiguée. Je feins d'être un imbécile naïf. Ses affaires ramassées, elle quitte l'appartement. Depuis la fenêtre, je la regarde monter dans sa voiture flamboyante et s'éloigner. J'étudierai les documents plus tard. Je me rappelle que mon portable n'avait plus de batterie. Je le branche et vérifie mes messages. Adam : « Dès que tu reçois ce message, pointe-toi ! » Je décroche le fixe et compose son numéro :

« Sors l'apéro mon grand, j'arrive. »

Dix minutes plus tard, je frappe à sa porte.

« Entre, me dit-il, surexcité, il s'est passé un truc de malade ! »

Je pénètre dans son appartement. Tout est bien rangé, à sa place. Pas normal.

« Le truc de malade, c'est que t'aies rangé ton appart' ! Qu'est-ce qui s'est passé, t'es marié ?

- Parle pas de malheur, fait-il en esquissant un geste de croix, faussement paniqué.

- Bon allez, raconte ! Je te signale que j'ai même pas bouffé, je suis venu direct, alors me fais pas lambiner !

- Installe-toi, je t'apporte les provisions !

Il remplit la table de biscuits, cacahuètes et autres amuse-gueules, pose deux verres et ouvre la porte du placard collé au sofa qui contient toutes les bouteilles d'alcool.

- Fais-comme chez toi. Et assieds-toi bien au fond du canapé !

- Merde, tu vas accoucher à la fin ?

Il ménage son suspense. Je choisis un bourbon et lui donne toute l'attention qu'il attend.

- Tu te rappelles... ça ? questionne-t-il en glissant un cliché sur la table basse.

J'attrape la photographie en noir et blanc. Lise Dhuin. Je la reconnaît aussitôt, malgré le fait que toute la peau de son visage ait été retirée, pelée comme on enlève la peau d'un fruit, découvrant la fine couche de muscle tapissant les os. Comme si on lui avait retiré un masque.

- Ouais, Dhuin. Et alors ? Ca remonte a des années ce truc, c'est quoi ton machin extraordinaire là ? Y'a un rapport ?

- Un peu ! Dis-moi, combien de meurtres ont été commis depuis, selon le même schéma ? Tu sais, le « masque facial » ?

- Aucun dont on ait eu vent en tout cas.

- Et bien maintenant, c'est faux ! dit-il en me glissant un autre cliché, un polaroïd récent cette fois.

- Bordel de merde... »

Trois. Il y en a trois. Des jeunes femmes aux nerfs et aux muscles palpitant à l'air libre. Des visages dépourvus de peau. Mais cette fois, on a également prélevé les yeux.

J'avale mon whisky d'un seul trait. Je me frotte le visage. Je compare les deux photographies. Ce sont les mêmes prélèvements. Le premier est sauvage, effectué sûrement avec quelque chose du genre grosse lame de cutter, la coupure est nettement irrégulière, elle décrit des ondulations. Autour des yeux et de la bouche, c'est encore plus dégueulasse. Ca a été arraché, les lèvres sont pelées et il reste des lambeaux dans les cavités orbitales. Pareil autour des narines. Les trois autres victimes ont subi un découpage plus soigné. Scalpel chirurgical, sûrement. Les prélèvements sont bien délimités même autour des orifices. Plus précis, plus propre. Et les yeux sont absents. Je remarque pourtant que, comme la première fois, le sang n'a pas été totalement épongé ni les plaies cautérisées jusqu'au bout.

Comme si la minutie du début, à grand renfort de compresses et de flamme bleue, avait laissé place à la précipitation, de plus en plus importante.

Ou plutôt... à l'excitation. Fébrile et incontrôlée

24 novembre 2007

Chapitre V

V.

« Tu pouvais pas trouver mieux non ? »

Alyson fusillait Lauren du regard. A peine l'inspecteur avait-il claqué la portière de sa voiture qu'elle était déjà en train de bombarder son amie de reproches :

« Sérieusement, tu fais chier, c'est vraiment trop dur de dire qu'on a vu faire ça à la télé et qu'on voulait juste aider ? Fallait que tu balances tout ?

- Eh tu te calmes, Alyson, je te signale que l'excuse des séries télé aurait immédiatement parue pas net, se défendit Lauren. Et puis j'ai pas « tout balancé », ça a l'air assez crédible et c'est pas non plus la vérité, j'estime que c'est le meilleur compromis qu'on aurait pu lui filer. Je vous l'avais dit que ça servait à rien de faire tout ça, la chronologie et tout le bordel ! Et vous aviez pas besoin de lui filer.

- Sans vouloir t'offenser chérie, fit Tom, même sans les papiers, il aurait vite vu qu'on avait pas de mal à parler de ça. Suffit de voir la manière dont réagit James chaque fois qu'on aborde le sujet, c'est flagrant que ça nous choque pas comparé à lui !

- Ferme-la Tom, désolé de pas être en plastique !

- T'aventure pas sur ce terrain, Ken, rétorqua Alyson. Niveau poupée fashion, je trouve que t'es plutôt pas mal dans ton genre !

- Et toi, tu t'es vue, miss Monde ?

- Eh, vous allez vous calmer ouais ? »

Je venais de crier malgré moi. Tous se turent et se tournèrent vers moi, une expression surprise dans le regard. Je soupirais, pour m'excuser, et reprenais plus calmement :

« Je pense que ç'aurait été mieux de ne pas lui parler de « grandeur nature », ça risque de leur poser des questions et ils pourraient vouloir en savoir plus. Mais en même temps, je pense que Lauren a eu raison de parler de « jeu ». C'est vrai, ce type avait éteint son dictaphone, il nous a bien montré que c'était de la curiosité personnelle. Ce mec, on voit de suite qu'il veut briller, il veut que son boulot paie mais il veut aussi se la jouer « inspecteur solitaire », ça crève les yeux. S'il va raconter ça à ses supérieurs, ils voudront creuser là-dessus, et ce ne sera plus sa découverte, entre guillemets.

- Tu veux dire qu'il va chercher dans son coin ? demanda Tom.

- C'est ça. Il me fait penser à ces flics dans les films qui se pointent quand toute la police régionale est au point mort, et qui arrivent avec un élément nouveau, une espèce de héros quoi. Excepté que c'est ce qu'il veut être, pas ce qu'il est.

- Seth, d'où tu sors ? Y'a que toi pour sortir des déductions pareilles... Et y'a que toi pour y réfléchir ! fit Tom.

- Ca, c'est une déformation « professionnelle » !

- Tu joues trop, demande une pause aux organisateurs, me conseilla Lauren dans un soupir amusé.

- J'y penserai. »

21 novembre 2007

Chapitre IV

IV.

Richard DaSilva, petit-fils d'immigré portugais, était un bon flic. Le genre de personne qui fait son chemin à l'école de police en élève pas exceptionnel mais acharné, passioné par son boulot, avec une vie de famille satisfaisante, et malgré une prise de risques minimum, il s'était toujours senti investi d'une mission. Un peu comme ces super-flics américains, qui croisent la route du crime et l'affrontent avec hargne et courage. Il sentait, au fond de lui-même, qu'il avait la capacité de rendre la paix aux innocents bafoués, qu'il pouvait faire payer l'abject meurtrier et l'immonde violeur. Il était convaincu que sa force d'esprit pourrait l'emmener sur le terrain en tant qu'inspecteur, et que ce jour-là, il ferait figure de héros. Aujourd'hui, il y était. Mais les convictions, c'était avant qu'il ne voie ses premiers cadavres. Trois jeunes femmes dénudées dont l'horreur des ventres béants n'égalait pas le spectacle abominable de leurs visages, débarassés de leur peau. Pourtant, Richard en avait vu des cadavres. Il en avait regardé, des photographies de la morgue, des clichés de scènes de crimes, des vidéos amateurs de massacres et autres génocides (Rwanda, camps de concentration, Moyen-Orient), pour bien se rôder à l'innomable. Mais la réalité était bien plus dure. Et Richard se détestait de n'avoir pas pu supporter la vue des corps. Il se maudissait encore au souvenir de son vomi dans les toilettes du premier étage, alors que le café brûlant qu'il tenait ne cessait de lui rappeler qu'il était un de ces bleus qu'on réconforte. La compassion... Elle n'avait pas à exister à son égard. Il s'était toujours vu, la distillant aux victimes avec le regard désolé du policier au grand coeur. Jamais il n'avait imaginé en être le bénéficiaire, de la part de ses propres collègues. « Ca viendra, question d'habitude », lui avait dit un uniforme. Lui ne souhaitait plus s'y habituer. Il pensait à sa femme, à sa petite fille d'un an, il ne désirait pas rentrer chez lui avec des images aussi horribles dans la tête, et devoir les concilier avec la vue de son enfant balbutiant entre ses bras. C'était décidé, il retournerait aux bureaux.

« Eh, DaSilva ! Venez voir s'il-vous-plaît ! »

Le commissaire Chaban était un homme taciturne, un grand balaise à la barbe dure et au regard cerné qui carburait au café et à l'agitation. Une vraie caricature de bande-dessinée, se disait Richard.

« Ecoutez, vous allez essayer de vous rendre utile, et me recontacter les gamins qui ont découvert les corps, ordonna-t-il. Votre collègue qui a enregistré les dépositions a oublié pas mal de choses, j'ai pas la chronologie des évènements tout à fait complète, alors vous allez à cette adresse (il tendit un papier à Richard), et vous m'interrogez en bonne et due forme les cinq loustics. Dictaphone dans la poche, liste rédigée des questions, tout ça tout ça. Ils logent tous ensemble le temps que les parents reviennent de leurs vacances. Et vous y allez avec tact. Si vous vous imaginez choqué, mettez-vous à leur place, eux qui ont jamais vu d'autres cadavres que les morceaux de plastique de la télé. »

Richard acquiesca sans ouvrir la bouche. En voilà au moins que lui, il pourrait rassurer. Son courage revint un petit peu, il vida sa tasse d'un seul coup, se brûla odieusement la langue et partit d'un pas décidé vers sa voiture de fonction. Sa consolation, c'était qu'il n'avait pas à partager celle-ci avec les uniformes, et donc pas à se sentir obligé de parler de ce qu'il venait de voir. C'était l'avantage d'enquêter en civil. Sa première enquête d'inspecteur... Il l'avait rêvée, se voyant faire fuser les ordres et être de tous les fronts, le puzzle du crime se plaçant et s'ordonnant tout seul dans sa tête. Finalement, peut-être qu'il attendrait le dénouement de l'enquête avant de démissioner.

Il arriva enfin dans le quartier indiqué sur le papier. Une espèce de mur d'enceinte enserrait le lot de résidences, et l'entrée en était affublée d'un grand portail de fer forgé, grand ouvert, donnant sur la concentration de pavillons. Palmiers et arbres exotiques poussaient au coin des trottoirs, tandis que des statues de nymphes et de lions ponctuaient nonchalamment les espaces verts soigneusement entretenus. Nul doute que la mairie mettait plus de zèle (et moins de délais) à venir s'occuper de ce quartier que de celui où il habitait... Sifflant d'admiration à la vue des villas de plusieurs étages, le policier avança doucement dans la rue jusqu'à tomber sur la maison qu'il cherchait. Un petit mur crépit ceinturait la propriété. Un portail automatique doublé d'un autre plus petit en fer, situé sur le côté, permettaient de filtrer les visiteurs. Un chemin pavé au milieu d'un gazon impeccable menait droit à la porte d'entrée, situé à plusieurs mètres de là. Par-dessus le muret, Richard pouvait admirer le style moderne de la bâtisse, une construction à deux étages en plus du rez-de-chaussée, dont le premier niveau se prolongeait en un toit plat, zone privilégiée de bronzage, et dont le second offrait une toiture en pyramide douce. Des piliers cylindriques maintenaient les avancées extérieures des toits, offrant ainsi une ombre fraîche aux habitants qui voudraient s'allonger sur leur balcon ou sur l'herbe. Une grande piscine miroitait sur le côté droit de la maison, et un petit chalet de jardin s'ouvrait grand sur l'autre. Le policier sonna à l'interphone, et après avoir décliné son identité, entendit un bourdonnement électrique puis un déclic, et vit le petit portail de fer s'ouvrir. Il le poussa et se dirigea vers l'entrée. De grandes baies vitrées, ombrées par des Velux, tapissaient le rez-de-chaussée. L'une d'entre elles était ouverte sur la terrasse, où quatre jeunes gens étaient assis autour d'une table en bois. Visiblement au beau milieu d'un apéritif, ils semblaient étonnés de voir un inspecteur débarquer. L'un d'entre eux se leva, un jeune homme élancé et aux traits fins dont les cheveux noirs d'ébène étaient attachés en queue-de-cheval.

« Seth Rodès, j'habite ici, dit-il en tendant la main. Qu'est-ce qui se passe ?
- Inspecteur Richard DaSilva, je suis de l'équipe qui enquête sur le meurtre qui a été commis hier, au domicile d'un certain Thomas Meillon.
- C'est moi, fit un jeune homme à la tignasse bouclée. Il y a du nouveau ? Je peux rentrer chez moi ?
- Et bien non, à vrai dire, la personne qui vous a interrogés hier n'a pas correctement pris vos dépositions. Le commissaire m'envoie pour une chronologie plus précise des évènements, et j'ai aussi des questions supplémentaires à vous poser, si ça ne vous dérange pas.
- Pour la chronologie, si vous voulez nous épargner du temps, au lieu de nous questionner on peut vous passer celle qu'on a rédigée ce matin, répondit le jeune homme aux cheveux longs.
- Vous avez dressé une liste des évènements ? s'étonna Richard. Vous voulez devenir flic ou quoi ? »

Le jeune homme rigola d'un ton léger. Il appela une certaine Alyson, et lui demanda d'apporter le papier en question. L'inspecteur avait bien remarqué qu'il manquait quelqu'un à l'appel, aussi fût-il rassuré de savoir que cette personne n'était pas en train de courir dans la nature. Il salua en attendant les autres jeunes gens assis là, n'oubliant pas de noter leurs noms dans sa mémoire. James Bazin, une espèce de surfeur décoloré importé tout droit des U.S ; Lauren Valian, une jeune femme brune plutôt mystérieuse aux cheveux mi-longs ; Thomas Meillon, le jeune homme au physique sportif qui habitait la scène du crime ; Seth Rodès, le pensionnaire des lieux ; et enfin la jeune femme qui venait d'arriver, en maillot de bain et paréo, une feuille de papier dans une main et un jus de fruit dans l'autre. Une de ces jeunes femmes que vous ne pouvez croiser que dans les pages glacées d'un magazine féminin ou d'un catalogue de lingerie. Un top-model à la fois désinvolte jusqu'à l'insolence et belle jusqu'au crime. Alyson Waldorf.

« Voilà, on a noté tous nos faits et gestes et ceux des gens qu'on a pu lister. On ne connaissait pas tout le monde, mais on a quand même réussi à être assez complets.


Richard releva à peine la remarque du jeune homme. Il écarquilla les yeux et demanda :
- Vous avez fait ça spontanément, comme ça ?
- J'aime bien comprendre les choses. Je déteste quand quelque chose m'échappe, si vous préférez. J'ai juste proposé l'idée, tout le monde l'a fait avec le plus de sérieux possible.
- On a peur, m'sieur. On flippe vraiment, ça peut être n'importe qui, et il était pas loin de nous, si ça se trouve ça aurait pu être nous ! dit le surfeur.
- M'appellez pas monsieur, j'ai à peine la trentaine ! répliqua Richard en tentant de détendre l'atmosphère. Et puis, je vous comprend, on va essayer de boucler ça au plus vite, il est pas possible que ce type ait agi sans laisser une trace de lui dans la maison, on va trouver vous en faîtes pas.


Il tentait d'être rassurant comme son rôle l'exigeait. Mais il savait que ce ne serait pas si simple.
- Vous nous protégez pas beaucoup je trouve ! On est peut-être les prochains ! continua de s'inquiéter le jeune homme blond.

- Ecoutez, premièrement, il y avait apparemment plus de soixante personnes dans cette maison avant-hier soir, si on devait mobiliser des flics pour chacun d'entre eux, tout le monde pourrait foutre la pagaille en toute impunité, il n'y aurait plus de policiers disponibles pour personne, en ville ! Et deuxièmement, vous êtes dans un quartier bien protégé, surveillé par une société de sécurité indépendante, et des voitures font des rondes tous les quarts d'heures. Au stade actuel de l'enquête, rien n'indique que vous soyiez vraiment en danger, pas plus que vos cinquante et quelques copains qui étaient avec vous ce soir-là, en tout cas. »

Richard reprit son souffle. Il laissa les étudiants digérer ses paroles, et les interrogea sur divers points de détails de la soirée. Il se vit même inviter à grignoter quelques biscuits apéritifs. Plus il entendait les jeunes gens parler de leur découverte, et plus il perdait pied. Il voyait ces gravures de catalogues, apparemment oisifs et gâtés par la vie, à l'abri de tout mal et de toute image choquante, parler de trois cadavres éventrés et défigurés sans aucun autre malaise que celui d'utiliser les bons mots pour décrire le tout. Dresser une chronologie détaillée, contacter les étudiants présents ce soir-là, établir une liste, faire des croquis de la scène de crime, des plans de la maison avec les déplacements et les horaires, et même un condensé de doutes et d'hypothèses en conclusion... Tout cela n'était résolument pas ce qu'auraient fait des étudiants normaux. Et plus il les écoutait, plus il se sentait faible à côté d'eux. Ils avaient même eu la présence d'esprit de contacter la police depuis un de leur portable, sans bouger du pas de la porte, sans toucher à rien. Tout cela sonnait presque faux. La question lui brûlait les lèvres, mais il savait bien qu'il s'agirait là d'un dépassement des limites professionnelles. Aussi fit-il semblant de terminer l'interrogatoire et coupa-t-il le dictaphone enfoui dans la poche de sa chemise.

« Bien, à vrai dire, il me reste une question. Eclaircissez-moi là-dessus, à titre personnel : comment se fait-il que vous ayiez tant gardé votre sang froid une fois les cadavres découverts ? Que vous ayiez appelé le central sans contaminer la scène de crime, que vous ayiez pensé à établir ces listes et à rassembler ces documents, et surtout, que vous ayiez tant de facilité à parler de trois jeunes femmes dont les tripes prenaient l'air et dont les visages étaient...dépecés littéralement ?

Il y eut un temps de latence. Les étudiants se regardèrent entre eux, ne sachant qui devrait répondre. Enfin, c'est la jeune femme prénommée Lauren qui s'appuya sur la table et plongea ses yeux dans ceux de l'inspecteur :

«- Vous allez sûrement trouver ça pas forcément sain, mais à part James, on a tous ici déjà plus ou moins...vécu ce genre de situation.
- Je vous demande pardon ?
- Nous sommes tous les quatre de grands passionnés de ce qu'on appelle la « plongée en apnée ».
- Quel est le rapport ?
- Nous ne plongeons pas vraiment sous l'eau, mais plutôt dans une autre « réalité », on va dire. Il s'agit d'un jeu, grandeur nature. Question cadavres, on en connait un rayon. »

20 novembre 2007

Chapitre III

III.

Je m'affaissais contre la paroi de marbre glacial. Les carreaux froids arrachèrent un frisson à mon épine dorsale, vite réchauffée par la chaleur de l'eau qui glissait maintenant le long de mes épaules. Je plaquais mes mains contre mon visage pour protéger mes yeux, et rejetais mes mèches en arrière. L'énorme chignon ne suffisait pas à retenir l'imposante masse de cheveux qui couraient le long de mon dos, collés à ma peau par le fort débit d'eau. Surtout, ne pas ouvrir les yeux. Chaque jour, c'était le même calvaire. Je devais me plaquer contre le mur, et bomber tout le haut de mon corps pour que la douche n'atteigne pas mon visage. Une fois que j'eus fini de frotter mon buste, je me tournais et arc-boutait la colonne vertébrale vers l'extérieur, la nuque penchée en avant. Je devais recourir à ce genre de contorsions pour que le cône d'eau ne touche pas mes yeux. Je savonnais énergiquement mes jambes et remontais progressivement, tout en prenant garde à l'angle de ma tête. Je détestais lambiner dans la cabine embuée, aussi me hâtais-je de me rincer avant de sortir et de m'envelloper d'un drap de bain. Tout en me frictionnant pour sécher plus vite, je défaisais mon chignon. La cascade s'écoula jusqu'à mes reins, captant les lueurs du petit matin qui filtraient par le vasistas en une multitude d'éclats mordorés. Malgré la situation, je lâchais un petit sourire. Sentir les fils de soie caresser mes épaules et tomber sur mon buste pour aller lécher mes vertèbres m'arrachait toujours un sentiment de béatitude. J'étais fière de ma chevelure. Souvent, je dénouais la serviette puis penchais la tête en arrière, et la secouais lentement de droite à gauche afin de sentir le toucher soyeux chatouiller ma peau frissonnante. Ce matin-là, je n'avais pas la tête à m'amuser à les toucher et les brosser durant de longues minutes. Je me dépêchais d'enfiler mes vêtements de rechange, et sortais de la luxueuse salle de bain.

« Ca va mieux ? me demanda Tom qui remontais l'escalier avec un plateau plein de jus de fruits et de nourriture.
- Vraiment mieux. Où est Seth ? demandais-je en attrapant une barre de chocolat.
- En bas, avec Lauren. Ils arrivent, on allait se caller dans sa chambre. Tu viens ?
- Faut d'abord que je lui parle, je viendrai après. »

J'engloutis la sucrerie en deux-deux. Il ne fallait pas éveiller les soupçons, je devais manger au moins autant qu'eux. J'arrivais au rez-de-chaussée et demandais à Seth une petite conversation en privé. Lauren remonta, non sans nous dire de ne pas tarder à les rejoindre. Elle avait peur que je lui saute dessus une fois qu'elle aurait le dos tourné ou quoi ?

« Seth, je voulais juste te remercier de m'accueillir chez toi. J'ai pas trop la motiv' de rester seule chez moi...
- Je sais, t'inquiète pas, ça me dérange pas. Autant en profiter, mes parents seront bloqués en Thaïlande jusqu'à la semaine prochaine, et je préfère que vous soyiez là plutôt que de les avoir à eux sur le dos.
- Je crois qu'ils sont tous contents de pouvoir éviter ça aussi, fis-je tristement.
- Viens, m'invita-t-il avec compassion, j'attrape quelques trucs et on va rejoindre les autres, je crois qu'on a besoin d'en parler ensemble. »

J'observais le jeune homme ouvrir des placards, prendre un bloc et des stylos, deux petite bouteilles de bière et un paquet de clopes. Il avait les traits incroyablement fins pour un garçon de 20 ans. Il avait sûrement hérité de ses parents ses yeux verts très clairs, et se laissait pousser les cheveux depuis quelques années. Loin d'être aussi longs que les miens, il les portait jusqu'à mi-dos. Une chevelure noire comme l'ébène, ondulée comme des algues soyeuses. Une seule mèche rouge traversait son visage, le résultat d'une soirée à thème, « en rouge et noir », que nous avions organisée l'an passé. Il avait aimé la coloration et l'avait gardée. Il portait un baggy militaire et un tee-shirt noir estampillé d'un logo blanc, « Nevermore ». Sûrement un de ses groupes favoris. Il me tendit la bière en souriant. « Je sais qu'on est les seuls à aimer la Despé ici ! » J'acquiescais et l'accompagnais à l'étage. La chambre de Seth était vaste et pleine de posters. Un écran plat trônait contre le mur à droite de l'entrée, un lit deux places aligné juste en face. Plusieurs consoles de jeux vidéos et un ordinateur portable étaient posés sur le bureau, sous l'écran. Quatre guitares électriques et deux accoustiques étaient alignées dans le coin au fond à gauche en entrant, posées sur des stands muraux. Quand aux étudiants qui remplissaient la pièce, ils n'avaient pas l'air fier. Tom était, comme à son habitude, affalé en étoile sur le lit, la tête en angle droit contre un coussin. Je me demandais comment il faisait pour mélanger une attitude si paresseuse avec une telle forme physique. James était assis les genoux contre la poitrine, adossé au mur sous la fenêtre, entre les guitares et trois tours de CD incroyablement fournies. Lauren, assise au bord du lit, tenait dans ses bras un chaton blanc comme neige, ce qui tranchait nettement avec son haut et sa jupe noirs. Seth et elle faisaient la paire, sans aucun doute... Je m'assis entre elle et le bureau, et le propriétaire de la chambre, se plantant à côté de moi, invita tout le monde à s'organiser en cercle sur le sol. Il disposa les provisions et le carnet au centre, et prit une profonde inspiration. Il voulait parler, engager le sujet, mais n'y arrivait pas. Un long silence s'ensuivit. Ce fût Lauren, fidèle à son caractère bien trempé, qui se décida :

« Bon, qu'est-ce qu'on est censés faire, hein ? Les flics nous ont dit qu'on devait se reposer et se remettre du choc et qu'ils nous appelleraient pour témoigner. Mais merde, y'a quelqu'un qui a....assassiné ces filles ! Et ils nous protègent même pas !
- Tu sais, je pense qu'ils se sont déjà fait leur avis, répondit James.
- Ouais, à tout les coups ils doivent penser : « C'est un étudiant bourré qui a pété un plomb, il a dû se faire jeter par les nanas et voilà ! » compléta Tom.
- Et ? insista Lauren. Tu crois que ça nous dispense d'une protection ? Ils vont éplucher la liste des gens qui étaient là, mais je sais pas si tu te rappelles, on étaient bourrés comme des porcs, quelqu'un qu'on connait pas a très bien pû se pointer à ta fête sans qu'on s'en rappelle et sans se faire remarquer !
- Eh, ce type-là traîne peut-être dehors ! Si ça se trouve, il sait qu'on a raconté ce qu'on savait aux flics, il peut très bien vouloir se venger ! paniqua James.
- Calme-toi, Ken, lui envoyais-je ironiquement. On flippe tous, qu'est-ce que tu crois ? Ecoutez, je crois que ça sert à rien de paniquer, ça changera pas grand-chose. On reste tous ensemble jusqu'à ce que les flics mettent un truc en place, et le mec qui m'a interrogée m'a dit qu'il enverrait régulièrement une voiture pour voir si tout allait bien. Je vois pas vraiment ce qu'on peut faire de plus.
- Alyson a raison, approuva Seth. Moi je propose qu'on essaie de tout remettre au clair sur papier, ça nous aidera déjà à pas baliser pour rien sur tout et n'importe quoi. Et surtout à pas voir des coupables partout ! Je sais pas vous, mais moi j'aimerais bien essayer de piger un peu ce qui s'est passé ! »

Tout le monde accepta. Nous commençâmes par réécrire la liste des personnes invitées, de celles dont on se rappelait sans les connaître, de celles qui avaient été amenées par des amis, etc. Puis Seth dressa une chronologie des évènements aussi détaillée que possible, selon nos souvenirs. Nous contactâmes quelques amis qui étaient partis avant la matinée, afin qu'ils nous aident à compléter les zones d'ombre. Evidemment, les flics ayant rendu visite à la plupart des étudiants présents et dont nous connaissions le nom, tous le campus avait été alerté. Je m'étonnais du calme de Seth. Certes, ses goûts pour la musique burnée et sa solidité d'esprit me laissaient à penser qu'il était capable d'affronter l'épreuve sans trop de difficultés, mais à ce point-là... Je soupçonnais un vice caché. Après tout, il était officiellement le dernier à avoir vu les victimes vivantes. Et si je ne le connaissais pas aussi bien, je me serais vite interrogée. Mais d'après les flics, elles étaient mortes dans l'après-midi, et Seth bronzait déjà au bord de la piscine avec nous depuis un bon moment. C'aurait été une autre histoire si la mort avait été estimée aux alentours de 12-13h...

« Alyson, t'es avec nous ?
- Pardon, je cogitais.
- Bon, honnêtement, vous pensez qu
e c'est utile de faire ce qu'on fait ? questionna Lauren. On va pas enquêter à la place de la police, ils ont bouclé la barraque de Tom depuis hier et ils sont en train de la passer au peigne, on va déjà avoir assez d'emmerdes comme ça entre toutes les saloperies que certains se sont enfilés et cette histoire de meurtre. Je suis pas sûre que mes parents vont apprécier s'ils apprennent que j'ai fumé des joints ! On a du bol d'être en été et que les vieux soient tous partis en vacances, mais quand les flics vont les appeler et qu'ils vont se pointer, ça sera une autre histoire !
- Lauren a carrément raison, moi je préfèrerais réfléchir à des alibis bétons pour mes parents, ils me font plus flipper que les poulets !
- James, ça c'est parce que ta mère croit que la bière ça t'envoie en Enfer ! lui renvoyais-je.
- Marre toi ! s'indigna-t-il sous les rires de tous. Tu sais pas la chance que t'as d'avoir des parents qui soient pas Mormons ! Y'en a que 36 000 en France, et faut que ça tombe sur moi ! »

Un silence s'installa. Tous savaient que mes parents étaient morts, il y avait deux ans de cela, dans un crash aérien. Je me levais sans un mot et décidais de descendre. Dans l'escalier, je l'entendais murmurer un « Oh merde ! » alors que les autres lui racontaient. La barre de chocolat et la bière que j'avais ingurgitées me pesaient énormément. Mais moins que ma colère.

J'allais aux toilettes du rez-de-chaussée, et me faisais vomir.

19 novembre 2007

Chapitre II

II.

Une enclume gigantesque. Ma tête devait être au moins aussi lourde. Je mis environ un quart d'heure pour ouvrir un tant soit peu les yeux, en me comprimant le front avec les paumes. En maugréant, je tentais de me lever mais ne pouvais que rester assis sur le bord du canapé. Malgré tout, je me forçais, et me traînais vers la cuisine. Un café, vite. Le bruit de la machine et l'odeur entêtante qui s'en dégageait me firent un bien fou. Je mis une aspirine à fondre dans un verre d'eau, et vidais le breuvage noir d'une traite. Je cherchais des yeux un paquet de clopes encore fourni. Je ne connaissais pas la moitié des gens qui dormaient, étendus n'importe comment sur des couvertures au sol ou sur les sofas. Je parcourais le salon des yeux. Soudain je me souvins qu'une des filles avait un stock énorme de cigarettes en arrivant hier soir. Il devait sûrement en rester. Je la cherchais du regard, sans grand succès. Je ne me rappelais même plus quel visage elle avait précisemment. Tout en avalant mon aspirine, j'auscultais les faciès encore burinés des excès de la nuit. Tom roupillait contre une blonde que je n'avais jamais vu auparavant, et Alyson et Lauren étaient blotties l'une contre l'autre sur un sac de couchage, à même la moquette. Cette dernière ouvrait les yeux, et une fois les repères pris, elle me salua de la main avec un petit sourire, l'air embrumé et les cheveux emmêlés. « Café ? » lui demandai-je en chuchotant et en articulant beaucoup trop. Elle eut un sursaut amusé et accepta. Je relançais la machine avant de repartir en exploration. La jolie brune s'emmitouffla d'une couverture ramassée dans un coin et porta le breuvage à ses lèvres.

« T'as pas une clope ? demanda-t-elle d'une petite voix.
- Ben non, j'en cherchais justement. Tu sais, la fille qui s'est pointée hier avec je sais pas combien de paquets dans son sac...Elle dort où ?
- Je crois qu'elle est dans la chambre de Tom.
- Okay, je vais voir.
- Eh, réveille personne, je partage pas le p'tit-déj' ! murmura-t-elle, d'un air faussement énervé.
Je souris et lui envoyais un clin d'oeil :
- No soucy ! Mission commando ! »

Elle passa sa main dans ses cheveux et les secoua en rigolant. Je dûs me forcer à quitter son visage des yeux pour filer à l'étage. Je montais avec précaution l'escalier en bois blanc, glissais sans bruit sur la moquette du palier et poussais délicatement la porte de la chambre. Je reconnus enfin la grande fille très mince qui était allongée sur la couverture bleue, en sous-vêtements, encadrée par deux autres jeunes femmes tout aussi légèrement vêtues. Je dûs me concentrer sur la recherche du sac. L'alcool n'avait pas encore quitté mon sang... Je redoutais que la chaleur qui stagnait dans la pièce ne me provoque des relents trop violents, aussi j'accélérais la cadence, soulevant pulls, pantalons et draps en faisant le moins de bruit possible. Je trouvais un sac à main et un autre à bandoulière, sous un tee-shirt. Par chance, les deux étaient grand ouverts sur un bon nombre de paquets de cigarettes. J'en cherchais un qui ne soit pas froissé et écrasé, signe qu'ils étaient vides, et trouvais enfin une boite encore emballée dans son plastique.  « Fumar puede matar ». Des clopes espagnoles, le genre qu'on achète en cartouches pour un prix bien moindre qu'ici, et qu'on revend aux étudiants pour quelques bénéfices. Je fourrais le paquet dans ma poche, ce qui provoqua un bruissement un peu trop fort à mon goût. Je me figeais et observais les filles.

La propriétaire me regardait apparemment depuis un bon moment, l'air à la fois intrigué et fatigué. Je sortis le paquet de ma poche et l'exhibai en demandant sans bruit si je pouvais les emporter. La demoiselle ne répondit d'abord rien, puis attrapa ses seins en grommelant pour les remettre correctement dans son soutien-gorge, et me fit oui de la tête en s'affalant contre l'oreiller. Quelques secondes plus tard, j'avais dévalé l'escalier en survolant les marches et me trouvais dans la cuisine, un sourire amusé aux lèvres. Lauren m'avait préparé un second café. Etonné, je lui glissais quelques cigarettes en remerciement. Elle me questionna :

« C'est quoi ce sourire débile ? Y'avait un spectacle croustillant là-haut ou quoi ?
- Si on peut dire, fis-je en embrasant la première clope de la journée.
- Du genre, gros dossier ?
- Non, du genre triplettes en sous-tif.
- Et ça te fait rire, gros boulet ? m'assena-t-elle en frappant mon front de son index.
- C'est le genre de trucs à voir dans sa vie au moins une fois ! m'amusais-je.
- Viens on bouge, j'ai sorti à bouffer. »

En effet, la table de plastique au bord de la piscine accueillait bols, verres, cuillères, jus d'orange, lait, céréales et cafetière pleine.

« Rah mais t'assures ! dis-je en lui tapotant la tête.
- Eh, bas-les-pattes, Liv Tyler ! répondit-elle en m'envoyant un coup de poing dans l'épaule. »

Elle m'appelait Liv Tyler à cause de mes longs cheveux bruns légèrement ondulés et de mes yeux très clairs. Ca l'amusait de se moquer de moi en me comparant à des actrices célèbres. J'avais même droit à « Monica Bellucci » parfois. Je lui renvoyais la boutade en la traitant de « Marilyn Manson », une insulte pour cette rockeuse pure et dure, aux cheveux coupés mi-longs dont les mèches noires lui tombaient devant les yeux. Offusquée, elle fronça ses fins sourcils et me souffla sa fumée dans le visage. Nous commençames à engloutir notre petit-déjeuner aux alentours de 13h.

Au fur-et-à-mesure de la journée, tous se réveillaient en douceur, mangeaient un petit quelque chose, et après le café-clope inévitable, partaient se recoucher chez eux. Il ne restait plus que Tom, maître des lieux, qui avait tellement picolé la veille qu'il ne se rappelait même pas qui était présent ou pas ; Alyson, la grande rousse aux cheveux flamboyants et longs jusqu'au bas des reins, la top-model du campus ; deux amis de Tom, un grand blond au style surfeur californien et un autre bien moins sculpté, plutôt du style fan de jeux vidéo empâté sur son canapé toute la journée ; deux soeurs qui étaient venues parce qu'elles connaissaient les potes d'un pote de Tom (c'était souvent comme ça qu'on remplissait les grandes baraques d'étudiants fêtards) ; la fille qui dormait à l'étage avec ses deux copines ; et enfin, Lauren et moi-même. Nous restâmes dans la maison à jouer à la console et à discuter jusqu'aux environs de 16h, quand les deux soeurs et l'as des jeux vidéos partirent. Nous fîmes connaissance avec James le surfeur (que sa mère avait appelé ainsi à cause de James Dean dont elle était admiratrice), dont le nom collait parfaitement à l'allure désinvolte et « cool » qu'arborait le jeune homme. Un garçon élancé, aux muscles légèrement dessinés et à la peau très bronzée, les cheveux décolorés et les yeux verts. Il s'avéra être amusant et cultivé derrière cette façade de fashion-victim du Nouveau-Monde. Alyson avait émergé de son sommeil imbibé d'alcool et de chips, mais avait encore du mal à parler audiblement. Elle me faisait penser à une espèce de sirène qui rôtirait sans complexe au bord de l'eau. Tom, quant à lui, se réveillait dans la piscine. Cet athlète de taille moyenne mais au corps en super forme physique alignait les longueurs sans problème, secouant sa tignasse bouclée de cheveux chatains et nous aspergeant dès qu'il le pouvait. Lauren et moi étions en pleine comparaison musicale : Godsmack ou Metallica ? A grands renforts de références sur les albums passés et présents des divers groupes que nous écoutions, et de mise en confrontation de paroles et de concerts live, nous discutions souvent de la sorte dans le seul but d'enrichir nos connaissances en la matière. Soudain, Alyson sembla exploser au monde, écarquillant les yeux et se relevant d'un bond sur son transat :

« Eh au fait, les trois cruches à l'étage, elles sont toujours pas levées ?
- Paraît-il qu'elles se sont bien amusées cette nuit, glissa Lauren en me regardant en souriant.
- Attends, c'est quoi cette histoire ? demanda Tom, les yeux écarquillés, accoudé au bord du bassin. Me dis pas...
- Eh doucement, fis-je en me défendant, je suis juste allé chercher des clopes et elles étaient pas très habillées, c'est tout, ça veut rien dire ! Et j'y suis pour rien, je précise ! fis-je en fusillant Lauren du regard.
- On y va ! dirent simultanément Tom et James. »

Pouffant de rire, nous montâmes tous en serrant les lèvres et en nous lançant des regards complices. Sur ce point-là, nous étions loin de nous amuser en étudiants de notre âge... Alyson poussa la porte en silence, et toutes les têtes entrèrent dans l'entrebaillement en même temps.

Tout l'alcool sembla remonter d'un seul coup dans mon ventre puis dans ma gorge, et la nausée m'attaqua.

Les trois jeunes femmes étaient toujours au même endroit, allongées de la même façon, toujours si peu couvertes, et baignant dans une flaque immense de sang qui couvrait le lit et coulait jusqu'à nos pieds.

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