Chapire XI
XI.
Je relisais le contrat. Précis, bref, comme d'habitude. J'aimais bosser avec des pros. Je rangeais la feuille dans mon porte-document, que je glissais dans ma mallette. Après avoir soigneusement verrouillé cette dernière, je glissais « Inazuma » dans son étui, à l'intérieur de ma veste. Ce Desert Eagle gravé était mon plus précieux trésor. Avant d'ouvrir la porte, je réajustais le col de mon costume, enfilais mes gants et mon manteau long de cuir noir. J'éteignais les lumières de la chambre d'hôtel et pris l'ascenceur pour atteindre le hall d'entrée. Je payais ma note sans un mot, et sortis dans la nuit calme et froide. Je me dirigeais vers le parking. A la lueur d'un lampadaire, j'ouvris le coffre de ma Ducati 998 et y glissais la mallette. Je mis mon casque et enfourchais mon véhicule. Je démarrais en trombe et quittais le domaine pour rejoindre la route nationale. Après quelques minutes, je bifurquais vers une route de campagne. Je traversais un patelin, puis arrivais sur un village plus grand, pour enfin voir au loin la ville qui se profilait. Je rattrapais les grands axes, avalant les kilomètres et les rocades à une allure vertigineuse. J'aimais rouler la nuit. Le face à face entre le monde et moi, le hurlement de mon moteur pour cri de guerre, je me sentais surpuissant, invincible, sur l'asphalte. Je filais tel une flèche noire aux reflets d'or dans les ténèbres, tel l'éclair lancé par un dieu vengeur. Les batiments grandissaient, les immeubles se faisaient de plus en plus présents. Je suivis la route de mémoire. J'atteignis bientôt la périphérie, avec ses quartiers résidentiels.
J'arrivais enfin devant une enceinte sécurisée, qui semblait regrouper une treintaine de maisons. L'entrée était fermée par un couple de portails électriques qui montaient assez haut, agrémentés par une cabine dans laquelle un vigile lisait un magazine. Je ne m'arrêtais pas et continuais encore quelques mètres. J'arrêtais ma moto et sortis de ma mallette un revolver sur lequelle je vissais un silencieux. Je glissais celui-ci dans un étui dissimulé contre mon flanc droit, Inazuma reposant contre mon coeur. Je sentis d'ailleurs sa palpitation, sa chaleur, comme s'il m'appelait, me suppliait de libérer toute sa force meurtrière. Je passais machinalement la main sur mon arme, comme une mère calmant son enfant trop agité. Je retirais mes lunettes de vue, et glissais sur mes yeux des lentilles de contact d'un bleu lumineux. Je passais ma main gantée sur mon crâne quasi-lisse, le bruissement des quelques millimètres de cheveux faisant écho au frisson d'excitation qui me remonta l'échine. Je fis craquer mon cou, mes poignets et mes phalanges. Je rangeais mes instruments dans le coffre de mon véhicule, et expirais.
Le silence. Juste un vain murmure, comme si le vent voulait alerter les innocents endormis qu'une bête traqueuse s'insinuait perfidemment dans leur bulle protectrice. Le souffle de l'air vicié, le frottement des feuilles d'arbres, le cliquetis d'un lampadaire dont l'ampoule clignotait faiblement. J'entendais dans ma tête une douce musique, faite de tantras, de cithares, d'ohms et de percussions tribales, le tout bercé et embrassé par des souffles féminins angéliques et des nappes de sons aériens. Je voyais les plaines verdoyantes des terres d'Asie, les voiles ocres, jaunes et ambrés qui flottaient dans la brise chaude d'une après-midi lumineuse. Je voyais les palmes d'émeraude se courber sous la caresse du vent, l'eau de cristal couler dans le creux d'une fontaine, au coeur d'un jardin ouvert sur l'horizon, les tendres collines d'herbe, telles des oasis miraculeuses, se profilant au loin. Mon esprit flottait entre la terre souillée et le nirvana doré. L'adrénaline me faisait flotter, me rendait léger, j'agrippais le rebord du haut mur de crépit sans prendre quasiment aucun élan, et me hissais sans effort notable, avant de retomber tout en souplesse sur un terre-plein de gazon. Je me rappelais la photo satellite, la disposition des habitations. Mes cibles se trouvaient au bout de l'allée fleurie. Avant de sortir de l'ombre du mur, je vérifiais qu'aucune lumière n'était allumée dans les environs. Le contrat était clair : pas plus de quatre victimes, je ne devais avoir aucun cadavre supplémentaire sur les bras, et donc ne faire aucun témoin et encore moins en abattre.
Une fois mes précautions prises, je sortis à demi-couvert, longeant l'enceinte, courant l'échine courbée. Inazuma voulait hurler, vomir sa lave et son métal en fusion, goûter au sang ici et maintenant. Je le sentais jusque dans mes veines. Le pavillon était là. Je localisais un poteau électrique qui frôlait le petit muret ceinturant l'habitation, ouvris le panneau sans trop de difficulté et avec précaution, coupais les cables électriques grâce à quelques outils que j'avais glissés dans mon manteau. Je commençais à avoir l'habitude de ces gestes. Couper l'électricité pour empêcher les alarmes de fonctionner, enjamber le mur, crocheter la serrure de la plus petite porte, photographier les lieux mentalement, puis procéder méthodiquement, en éliminant en silence la cible la plus potentiellement dangereuse en premier.
Je récitais encore mentalement la « procédure » habituelle quand je me rendis compte que j'étais déjà en train de glisser de petites tiges en métal dans la serrure de la porte de derrière. Elle s'ouvrit sans trop de problèmes. J'entendis alors des rires au premier étage. Ils étaient encore éveillés, à 4 h 30 du matin, et de surcroit en train de se marrer et de désigner qui allait devoir descendre pour vérifier le disjoncteur... Une vague froide envahit mon corps, entre panique et excitation. Je fûs tenté de rebrousser chemin, mais l'occasion était trop belle. Quatre gamins d'à peine vingt piges sans défense, et qui plus est, qui projettaient déjà de se séparer dans une maison plongée dans le noir... Ils me mâchaient tout le boulot. Je dégainais ma lame courte. Ce soir, j'allais faire dans la dentelle...