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  • Pas vraiment une page de détente. Plutôt des réflections. Des points de vue. Des idées et des remarques. Ce qui nous entoure, ce qui nous constitue, ce qui nous fait réfléchir. Ou pas. Un aperçu non-exhaustif.
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19 novembre 2007

Chapitre II

II.

Une enclume gigantesque. Ma tête devait être au moins aussi lourde. Je mis environ un quart d'heure pour ouvrir un tant soit peu les yeux, en me comprimant le front avec les paumes. En maugréant, je tentais de me lever mais ne pouvais que rester assis sur le bord du canapé. Malgré tout, je me forçais, et me traînais vers la cuisine. Un café, vite. Le bruit de la machine et l'odeur entêtante qui s'en dégageait me firent un bien fou. Je mis une aspirine à fondre dans un verre d'eau, et vidais le breuvage noir d'une traite. Je cherchais des yeux un paquet de clopes encore fourni. Je ne connaissais pas la moitié des gens qui dormaient, étendus n'importe comment sur des couvertures au sol ou sur les sofas. Je parcourais le salon des yeux. Soudain je me souvins qu'une des filles avait un stock énorme de cigarettes en arrivant hier soir. Il devait sûrement en rester. Je la cherchais du regard, sans grand succès. Je ne me rappelais même plus quel visage elle avait précisemment. Tout en avalant mon aspirine, j'auscultais les faciès encore burinés des excès de la nuit. Tom roupillait contre une blonde que je n'avais jamais vu auparavant, et Alyson et Lauren étaient blotties l'une contre l'autre sur un sac de couchage, à même la moquette. Cette dernière ouvrait les yeux, et une fois les repères pris, elle me salua de la main avec un petit sourire, l'air embrumé et les cheveux emmêlés. « Café ? » lui demandai-je en chuchotant et en articulant beaucoup trop. Elle eut un sursaut amusé et accepta. Je relançais la machine avant de repartir en exploration. La jolie brune s'emmitouffla d'une couverture ramassée dans un coin et porta le breuvage à ses lèvres.

« T'as pas une clope ? demanda-t-elle d'une petite voix.
- Ben non, j'en cherchais justement. Tu sais, la fille qui s'est pointée hier avec je sais pas combien de paquets dans son sac...Elle dort où ?
- Je crois qu'elle est dans la chambre de Tom.
- Okay, je vais voir.
- Eh, réveille personne, je partage pas le p'tit-déj' ! murmura-t-elle, d'un air faussement énervé.
Je souris et lui envoyais un clin d'oeil :
- No soucy ! Mission commando ! »

Elle passa sa main dans ses cheveux et les secoua en rigolant. Je dûs me forcer à quitter son visage des yeux pour filer à l'étage. Je montais avec précaution l'escalier en bois blanc, glissais sans bruit sur la moquette du palier et poussais délicatement la porte de la chambre. Je reconnus enfin la grande fille très mince qui était allongée sur la couverture bleue, en sous-vêtements, encadrée par deux autres jeunes femmes tout aussi légèrement vêtues. Je dûs me concentrer sur la recherche du sac. L'alcool n'avait pas encore quitté mon sang... Je redoutais que la chaleur qui stagnait dans la pièce ne me provoque des relents trop violents, aussi j'accélérais la cadence, soulevant pulls, pantalons et draps en faisant le moins de bruit possible. Je trouvais un sac à main et un autre à bandoulière, sous un tee-shirt. Par chance, les deux étaient grand ouverts sur un bon nombre de paquets de cigarettes. J'en cherchais un qui ne soit pas froissé et écrasé, signe qu'ils étaient vides, et trouvais enfin une boite encore emballée dans son plastique.  « Fumar puede matar ». Des clopes espagnoles, le genre qu'on achète en cartouches pour un prix bien moindre qu'ici, et qu'on revend aux étudiants pour quelques bénéfices. Je fourrais le paquet dans ma poche, ce qui provoqua un bruissement un peu trop fort à mon goût. Je me figeais et observais les filles.

La propriétaire me regardait apparemment depuis un bon moment, l'air à la fois intrigué et fatigué. Je sortis le paquet de ma poche et l'exhibai en demandant sans bruit si je pouvais les emporter. La demoiselle ne répondit d'abord rien, puis attrapa ses seins en grommelant pour les remettre correctement dans son soutien-gorge, et me fit oui de la tête en s'affalant contre l'oreiller. Quelques secondes plus tard, j'avais dévalé l'escalier en survolant les marches et me trouvais dans la cuisine, un sourire amusé aux lèvres. Lauren m'avait préparé un second café. Etonné, je lui glissais quelques cigarettes en remerciement. Elle me questionna :

« C'est quoi ce sourire débile ? Y'avait un spectacle croustillant là-haut ou quoi ?
- Si on peut dire, fis-je en embrasant la première clope de la journée.
- Du genre, gros dossier ?
- Non, du genre triplettes en sous-tif.
- Et ça te fait rire, gros boulet ? m'assena-t-elle en frappant mon front de son index.
- C'est le genre de trucs à voir dans sa vie au moins une fois ! m'amusais-je.
- Viens on bouge, j'ai sorti à bouffer. »

En effet, la table de plastique au bord de la piscine accueillait bols, verres, cuillères, jus d'orange, lait, céréales et cafetière pleine.

« Rah mais t'assures ! dis-je en lui tapotant la tête.
- Eh, bas-les-pattes, Liv Tyler ! répondit-elle en m'envoyant un coup de poing dans l'épaule. »

Elle m'appelait Liv Tyler à cause de mes longs cheveux bruns légèrement ondulés et de mes yeux très clairs. Ca l'amusait de se moquer de moi en me comparant à des actrices célèbres. J'avais même droit à « Monica Bellucci » parfois. Je lui renvoyais la boutade en la traitant de « Marilyn Manson », une insulte pour cette rockeuse pure et dure, aux cheveux coupés mi-longs dont les mèches noires lui tombaient devant les yeux. Offusquée, elle fronça ses fins sourcils et me souffla sa fumée dans le visage. Nous commençames à engloutir notre petit-déjeuner aux alentours de 13h.

Au fur-et-à-mesure de la journée, tous se réveillaient en douceur, mangeaient un petit quelque chose, et après le café-clope inévitable, partaient se recoucher chez eux. Il ne restait plus que Tom, maître des lieux, qui avait tellement picolé la veille qu'il ne se rappelait même pas qui était présent ou pas ; Alyson, la grande rousse aux cheveux flamboyants et longs jusqu'au bas des reins, la top-model du campus ; deux amis de Tom, un grand blond au style surfeur californien et un autre bien moins sculpté, plutôt du style fan de jeux vidéo empâté sur son canapé toute la journée ; deux soeurs qui étaient venues parce qu'elles connaissaient les potes d'un pote de Tom (c'était souvent comme ça qu'on remplissait les grandes baraques d'étudiants fêtards) ; la fille qui dormait à l'étage avec ses deux copines ; et enfin, Lauren et moi-même. Nous restâmes dans la maison à jouer à la console et à discuter jusqu'aux environs de 16h, quand les deux soeurs et l'as des jeux vidéos partirent. Nous fîmes connaissance avec James le surfeur (que sa mère avait appelé ainsi à cause de James Dean dont elle était admiratrice), dont le nom collait parfaitement à l'allure désinvolte et « cool » qu'arborait le jeune homme. Un garçon élancé, aux muscles légèrement dessinés et à la peau très bronzée, les cheveux décolorés et les yeux verts. Il s'avéra être amusant et cultivé derrière cette façade de fashion-victim du Nouveau-Monde. Alyson avait émergé de son sommeil imbibé d'alcool et de chips, mais avait encore du mal à parler audiblement. Elle me faisait penser à une espèce de sirène qui rôtirait sans complexe au bord de l'eau. Tom, quant à lui, se réveillait dans la piscine. Cet athlète de taille moyenne mais au corps en super forme physique alignait les longueurs sans problème, secouant sa tignasse bouclée de cheveux chatains et nous aspergeant dès qu'il le pouvait. Lauren et moi étions en pleine comparaison musicale : Godsmack ou Metallica ? A grands renforts de références sur les albums passés et présents des divers groupes que nous écoutions, et de mise en confrontation de paroles et de concerts live, nous discutions souvent de la sorte dans le seul but d'enrichir nos connaissances en la matière. Soudain, Alyson sembla exploser au monde, écarquillant les yeux et se relevant d'un bond sur son transat :

« Eh au fait, les trois cruches à l'étage, elles sont toujours pas levées ?
- Paraît-il qu'elles se sont bien amusées cette nuit, glissa Lauren en me regardant en souriant.
- Attends, c'est quoi cette histoire ? demanda Tom, les yeux écarquillés, accoudé au bord du bassin. Me dis pas...
- Eh doucement, fis-je en me défendant, je suis juste allé chercher des clopes et elles étaient pas très habillées, c'est tout, ça veut rien dire ! Et j'y suis pour rien, je précise ! fis-je en fusillant Lauren du regard.
- On y va ! dirent simultanément Tom et James. »

Pouffant de rire, nous montâmes tous en serrant les lèvres et en nous lançant des regards complices. Sur ce point-là, nous étions loin de nous amuser en étudiants de notre âge... Alyson poussa la porte en silence, et toutes les têtes entrèrent dans l'entrebaillement en même temps.

Tout l'alcool sembla remonter d'un seul coup dans mon ventre puis dans ma gorge, et la nausée m'attaqua.

Les trois jeunes femmes étaient toujours au même endroit, allongées de la même façon, toujours si peu couvertes, et baignant dans une flaque immense de sang qui couvrait le lit et coulait jusqu'à nos pieds.

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